RETOUR SUR L’ASSURANCE PERTES D’EXPLOITATION ET LE CORONAVIRUS
I - Etat des lieux
1- Après
un premier tour d’horizon sur les moyens de « forcer » les garanties PERTES
D’EXPLOITATION contenant des exclusions contestables, les échanges avec
nos clients en difficultés nous encouragent à prolonger la réflexion sur les
moyens de faire évoluer la question des garanties illusoires.
Face à la détresse des
entrepreneurs s’apercevant qu’ils ne peuvent attendre aucun secours de leurs assureurs,
ces derniers se défendent en invoquant le fait que tous les risques ne sont pas
assurables.
2- Très
critiqué, le monde de l’assurance plaide sa cause en proclamant sa volonté
d’aider les entreprises dans l’épreuve du CORONAVIRUS, tout en rappelant
que ne peuvent être garantis que les risques qui font l’objet de statistiques
permettant de connaitre la fréquence des sinistres.
La survenance d’un événement
sans précédent et non documenté tel que l’épidémie mondiale de COVID 19,
serait ainsi totalement inassurable, en particulier du fait que, par son ampleur,
la crise sanitaire a un impact sur un trop grand nombre d’entreprises et pour
des montants trop importants - il est question de 60 milliards en France, soit
plus que les fonds propres des assureurs non vie - exposant les compagnies à
une faillite certaine si elles devaient être mises à contribution.
3- Juridiquement,
la crise sanitaire ne change rien aux principes : le contrat fait toujours
la loi des parties (1103 C. civ.) et il garde sa force obligatoire (1193 et s.
C. civ.), ce que le Code des assurances traduit par : « l'assureur
doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et
ne peut être tenu au-delà » (L113-5 C. ass.).
La seule particularité importante,
tirée du Code civil, étant que le contrat d’assurance est un contrat aléatoire
(1108 C. civ.), ce qui signifie que la mise en œuvre des prestations est subordonnée
à la réalisation d’un événement dont la survenance est incertaine.
L’assuré ne peut
être sûr que d’une chose : il a l’obligation de verser les
cotisations/primes, même si l’assureur n’est jamais appelé à indemniser le
moindre sinistre.
4- Sur
le plan économique, l’assurance est caractérisée par un « cycle de
production inversé » dont l’originalité tient au fait que le prix de la
prestation est fixé avant d’en connaître le coût.
Le montant des
prestations futures est limité par le montant des ressources collectées et provisionnées
sur la base de la connaissance statistique du risque.
Mais les assureurs
peuvent se protéger, classiquement en prévoyant une franchise et
également en plafonnant le montant des indemnités contractuelles, ou en
ayant recours aux mécanismes de la coassurance et de la réassurance pour
partager les risques en cédant une partie des cotisations/primes.
5- Compte
tenu de ces spécificités, il est actuellement juridiquement et économiquement impossible
que les assureurs dérogent à leurs contrats. Il est donc vain d’espérer qu’ils
indemnisent spontanément au-delà des prévisions contractuelles.
Dès lors, en quoi
consistera l’aide annoncée par la Fédération Française de l’Assurance et le
Président de la République lors de son allocution du lundi 13 avril ?
Cette aide pourra notamment
consister à consentir des délais aux entreprises assurées pour
s’acquitter de leurs cotisations/primes contractuelles, dans l’espoir, sans
entamer leurs ressources, de les soulager temporairement en évitant de résilier
leurs contrats pour non-paiement de cotisations/primes.
6- Or,
s’ils compatissent aux difficultés de leurs clients, il est aussi possible que
les assureurs tirent profit de la situation du fait que l’arrêt d’activités d’un
grand nombre d’entreprises devrait avoir pour effet de réduire la sinistralité
dans des proportions non négligeables sur certaines catégories de risques.
La diminution de la circulation,
par exemple, a dû entraîner une chute considérable des accidents, et la
fermeture des entreprises qui ont donc cessé leur exploitation, rend évidemment
impossible la mobilisation des garanties pertes d’exploitation, au-delà
du fait qu’elles sont définies si étroitement et limitées par tant d’exclusions
qu’elles ne seront quasiment jamais mises à contribution dans la situation
actuelle.
Dans ces
conditions, le sentiment d’injustice ou d’iniquité éprouvé par les dirigeants
d’entreprises en difficultés tenus de continuer à payer sans espoir d’être
indemnisés, n’est-il pas justifié ?
Est-il possible
d’imaginer une action corrective ?
Nous le pensons et proposons
les axes de réflexions suivants :
II - Pistes de
solutions
A - L’application
du droit positif
7- Nous
mettrons de côté la possibilité de geler l’arriéré de cotisations par le déclenchement
d’une procédure collective dont l’intérêt est limité, pour nous concentrer sur
la recherche des motifs de nature à contester les refus opposés par les
assureurs de mobiliser la garantie pertes d’exploitation dans le contexte
actuel.
8- Un
rapide tour d’horizon des textes légaux susceptibles d’être invoqués révèle que
le Code des assurances est totalement muet sur le risque « pertes
d’exploitation ». Néanmoins, s’appliquent à cette garantie les règles relatives
au contrat d’assurance en général (Livre I Titre I) et certaines règles
propres aux assurances de dommages non maritimes (Livre I Titre II
Chapitre Ier).
Sauf dérogations prévues
par ces règles spéciales, ce sont les règles générales du droit des contrats
(1100 et s. C. civ.) qui s’appliquent aux contrats
d’assurance.
9- Comme
tous les contrats, ces derniers doivent être négociés, formés et exécutés de bonne
foi (1104 et 1112 C. civ.) sous peine pour le contrevenant de devoir réparer le
préjudice résultant de la mauvaise foi.
Au stade pré-contractuel,
un devoir d’information pèse sur les parties, qu’il s’agisse de l’assuré
dans la déclaration du risque qu’il propose, ou de l’assureur sur l‘étendue des
garanties qu’il offre.
La partie qui détient
des informations déterminantes ayant un lien avec le contenu du contrat doit
les donner sous peine de nullité relative (1112-1 C. civ.) pour vice du
consentement sur les qualités substantielles de la prestation (1130 et s.
C. civ.).
10- Dans
cet esprit, l’article L112-2 du Code des assurances prévoit spécialement que
:
« L'assureur doit
obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix
et les garanties avant la conclusion du contrat.
Avant la conclusion du contrat, l'assureur
remet à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces
annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément
les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré.
(…) »
Article R112-3 : « La
remise des documents visés au deuxième alinéa de l'article L. 112-2 est
constatée par une mention signée et datée par le souscripteur apposée au bas de
la police, par laquelle celui-ci reconnaît avoir reçu au préalable ces
documents et précisant leur nature et la date de leur remise. »
L’assuré estimant ne
pas avoir été suffisamment informé sur l’étendue réelle de la couverture
proposée pourra s’appuyer sur ces textes pour demander et éventuellement
obtenir, s’il ne bute pas sur un problème de preuve, la nullité partielle du
contrat d’assurance limitée à la garantie « pertes
d’exploitation » (1184 C. civ.), ainsi que des dommages-intérêts en
réparation du préjudice qui en résulte, sur un fondement quasi délictuel (1178
C. civ.).
Tel est le droit
positif qui pourrait, au cas par cas, offrir des angles d’attaques à des
procès. (Par ex. C.
cass., 30 janvier 2001 ; 9 mai 2001 ; 17 juillet 2001)
B - Les solutions nouvelles
11- En
dépit des récentes déclarations du Président de la République, il parait
impossible que le pouvoir politique puisse légalement contraindre les assureurs
à quoi que ce soit au titre des contrats et sinistres en cours, sous peine
d’être censuré par les instances juridictionnelles supérieures pour violation
du principe de non rétroactivité des lois. (Article 2 C. civ.)
Seule une réforme législative
valant pour l’avenir permettrait de procurer des solutions.
12- A
l’instar de la garantie « catastrophes naturelles » obligatoirement
incluse dans les contrats d’assurances dommages, financée par une cotisation/prime spécifique et
déclenchée par arrêté ministériel, il a été suggéré de créer une garantie « catastrophes
sanitaires ».
Mais la multiplication
des catastrophes naturelles et la propension actuelle des assureurs et de leurs
experts à souvent refuser les prises en charge ne laisse rien présager de bon
et risquerait de n’avoir pour effet que de déplacer le problème.
Cependant ce modèle pourrait
inspirer la mise en place d’un système comparable et original.
13- La
presse nationale annonce que les compagnies d’assurances s’engagent à verser
400 millions d’euros au Fond national de solidarité en faveur des
petites entreprises et des indépendants, et qu’elles préparent un « plan
d’investissement » d’1,5 milliards d’euros dans les PMI et ETI.
A priori ces aides
pourront bénéficier même aux non assurés contre les pertes d’exploitation.
Le ministère des
finances vient de créer un groupe de travail pour étudier les solutions
possibles, et des parlementaires déposent des propositions de lois pour
« assurer le monde contre les épidémies de demain ». (Le Monde
15/04/2020)
14- La
solution pourrait être purement contractuelle par l’intervention d’une loi prévoyant
tout ou partie des points suivants :
- rendre obligatoire la souscription d’une
garantie perte d’exploitation minimale dans les assurances de dommages afin
d’élargir la mutualisation des risques ;
- déconnecter
le déclenchement de cette garantie de la survenance préalable d’un sinistre
matériel ;
- interdire
les clauses excluant les conséquences des maladies contagieuses, les épidémies,
les pandémies, les fermetures administratives collectives … qui
actuellement vident les garanties de tout efficacité ;
- autoriser les assureurs à plafonner les
montants d’indemnisations, dans des limites raisonnables et rachetables ;
-
obliger les assureurs à isoler les cotisations/primes affectées à cette
garantie, et à les verser dans un fond dédié qui en garantirait la pérennité
et pourrait participer au financement de la prévention ;
- prévoir un recours
systématique à la coassurance et à la réassurance.
15- Une
telle évolution satisferait le besoin de sécurité des entreprises en éliminant
les garanties illusoires en cas de pandémie.
L’expérience actuelle
devrait aider les assureurs à mieux cerner la sinistralité et à ajuster le
volume global des ressources aux besoins.
La mutualisation du
risque pourrait également s’opérer au niveau européen pour en accroître
la dilution et faire émerger une nouvelle solidarité.
Trouver une solution
s’impose, pour sauver nos économies et éviter que les largesses actuelles de
l’état se renouvellent lors de la prochaine crise, et qu’elles ne soient pas supportées
in fine que par les contribuables.
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Le 15/04/2020
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